
septembre 2025
Wonderflow
La fondation Querini Stampalia de Venise
La fondation Querini Stampalia, ancrée dans l’histoire mais toujours en transformation, est comme un archipel de savoirs hétérodoxes. Elle invite à se perdre, à explorer, à penser. En ce sens, chaque visite est un exercice d’émerveillement, une invitation à habiter le monde, à le connaître sans préjugés, à apprendre sans entraves. Elle est un archipel d’expériences où la connaissance se diffuse de manière rhizomatique, éclectique et non hiérarchique. Les îles intelligentes de l’architecture de Scarpa, Pastor, Botta et De Lucchi portent chacune un signe plastique de leur époque et composent ensemble la complexité dans un parfait exemple de cohabitation réussie.
La tension commune vers un « habitat fluide » fait de la fondation et d’Edra des partenaires de choix pour raconter les espaces comme une connexion authentique entre les personnes, la nature et l’architecture. À la fondation Querini, l’espace Scarpa est l’exemple le plus accompli de cette vision : un continuum qui fusionne l’intérieur et l’extérieur, où l’eau de la lagune entre et sort de l’espace architectural au rythme du lent mouvement des marées, tandis que le jardin, placé entre les bâtiments comme un hortus conclusus, se révèle être un lieu d’une étonnante intimité. Ici, la géométrie rationnelle de Carlo Scarpa génère une douce ouverture inattendue, invite à la contemplation, là où la lumière et le vent se mêlent aux notes sonores et olfactives de la lagune.
Edra partage cette attitude, ses systèmes de sièges ne sont pas de simples meubles, mais des dispositifs intelligents qui s’adaptent au corps et au contexte, favorisant un confort sur mesure, valorisant l’acte de se détendre comme une forme de dialogue actif et réceptif avec le paysage. Quand le public traverse le « Portego », longe la Cour, pénètre dans le jardin intérieur, il retrouve la même harmonie traduite en volumes qui cherchent la profondeur avec les perspectives, les lignes de fuite inattendues associées à l’effet Droste comme multiplicateur d’ouvertures. Au centre, une expérience sensorielle complexe qui propose une idée d’hospitalité osmotique, qui ne sépare jamais l’intérieur de l’extérieur, mais les intègre dans un grand et unique projet, offrant la possibilité d’habiter le dehors, une réalité qui n’est pas définie ni déterminée une fois pour toutes, mais toujours en devenir, comme le flux de l’eau que Carlo Scarpa, avec une intuition géniale, a intégré à l’intérieur du palais du XVIe siècle qui donne sur le canal et sur le Campo Santa Maria Formosa. Pour rendre presque invisible la limite visuelle entre l’intérieur et l’extérieur, il a utilisé le verre, un matériau local, enchâssant son architecture avec une habilité d’orfèvre, son joyau, dans le tissu urbain de Venise. Un paradigme de l’habitat ouvert à la nature, dans la conscience de son anthropisation continue et stratifiée, mais qui tente en même temps de préserver l’émerveillement et le mystère.
À la fondation Querini, nous pratiquons cette stupeur, cet émerveillement comme méthode et comme projet. Nous le faisons en nous inspirons de notre fondateur, Giovanni Querini Stampalia : un visionnaire qui a imaginé une institution capable de restituer le savoir, la beauté et la citoyenneté au cœur de Venise, dans une osmose continue entre le passé et l’avenir. Notre manière d’habiter l’espace naît d’une logique d’ouverture et de relation. L’architecture de Carlo Scarpa est l’emblème de cette pensée : un système fluide de seuils et de passages. L’intérieur et l’extérieur se confondent, la ville s’insinue dans le palais et le jardin apparaît comme une pièce à ciel ouvert qui donne une forme accomplie à l’expérience : le confort, le fait d’être à son aise, devient un geste culturel responsable.
Le projet Wonder Booster rassemble un ensemble dynamique d’art, de photographie, de sculpture, d’architecture, de design, de livres et de personnes, définissant la « Qultura » de la Fondation, sa signature qui, le 5 mai 2025, à l’occasion des célébrations pour l’anniversaire du Comte Giovanni, a été pleinement réalisé en trois mouvements.
Le premier, les sculptures de Davide Rivalta sur Campo Santa Maria Formosa. Deux lions et deux lionnes au cœur de Venise, comme des épiphanies de l’« ouvert » : des seuils qui montrent la fragilité de notre ambition de dominer la distinction entre l’homme et l’animal, des vestiges de la frontière dont nous avons besoin pour nous définir. Des sculptures, animaux inertes, « visibles » uniquement comme des objets symboliques. Et pourtant, leur présence est « ouverte », ils ne parlent pas mais ne cessent jamais de regarder. Ils constituent notre contre-champ silencieux, la matérialisation de l’animalité incluse, représentée et domestiquée dans l’ordre humain. Mais ils restent inquiets, comme sur le point de dévoiler la fiction, de nous renvoyer la question en suspens : qu’est-ce qui nous distingue vraiment ? Sommes-nous encore capables de reconnaître dans l’animal un autre que nous ? Et quelle relation entretenons-nous aujourd’hui avec la nature dont nous faisons partie, comme des cellules d’un unique organisme vivant ?
Le second, Q Spot. Seat, read, think, repeat, conçu par Martí Guixé, transforme le logo de la Fondation en un siège social, invitant les personnes à s’asseoir, à lire, à penser et à partager, en promouvant la culture comme une pratique quotidienne et un entraînement pour vivre le monde. Un objet qui habilite, déstructure la socialité comme événement, préparant l’espace à une interaction publique, décontractée et dynamique. Une œuvre comme dispositif comportemental, comme agent de relation qui modifie l’environnement en encourageant la communication et le partage. Une œuvre qui donne la possibilité d’habiter pacifiquement et transitoirement les lieux et de se sentir partie prenante d’un environnement commun, temporairement mais de manière significative, où la proximité n’est pas une contrainte mais une possibilité, et où l’identité se construit dans la différence.
Le troisième mouvement est l’exposition inaugurale Non Stone Unturned. Conceptual Photography, consacrée à John Baldessari, avec plus de soixante-dix œuvres qui soulignent son rôle de pionnier dans l’art conceptuel et dans la photographie, mais surtout son regard ironique et insouciant sur les choses, l’attraction fatale pour chaque détail, même le plus insignifiant en apparence, le geste radical à partir de soi-même, le nouveau début, la tabula rasa du Cremation project, à partir duquel, tel le Phénix, son art renaît à chaque fois. John Baldessari aimait Giotto, il aimait toute l’histoire de l’art, même ce qui lui paraissait ennuyeux. C’est la raison pour laquelle il a toujours essayé de prendre l’art avec philosophie et de s’extasier de ce qu’un regard créatif et divergent suffise à faire place à l’imagination, un ars combinatoria qui donne de la valeur au monde, un émerveillement qui n’a rien d’exceptionnel lorsqu’il devient une pratique quotidienne qui nous fait rester dans le monde et non fuir dans un ailleurs qui, au moins pour l’instant, est encore près de nous.